Entre pères au sujet de l’allaitement
La place du père dans l’allaitement
En général, les images qui illustrent l’allaitement maternel montrent seulement la mère et son bébé allaité. Et pourtant, le père joue un rôle capital, quoique indirect, dans la relation d’allaitement. Quand j’observe celles de mes patientes qui réussissent le mieux leur allaitement, un facteur principal domine : elles ont un conjoint sensible qui les appuie.
Mon épouse, Martha, a décidé d’allaiter notre premier enfant dans les années 1960, à une époque où environ 25 % seulement des femmes choisissaient l’allaitement maternel. Même si j’étais alors interne en pédiatrie et que j’avais un peu entendu parler des avantages du lait maternel, je n’ai pas émis d’opinion ni en faveur ni contre cette idée et, au mieux, je ne lui ai offert qu’un encouragement passif. Aujourd’hui, après 20 ans de mariage, six enfants allaités et 15 années de pratique pédiatrique, je suis absolument convaincu de la supériorité du lait humain pour les bébés humains. Et je veux donc transmettre aux nouveaux pères un sentiment qui me vient du fond du cœur : faites tout ce qui est en votre pouvoir pour encourager et soutenir une saine relation d’allaitement entre votre conjointe et votre bébé. L’allaitement maternel est un mode de vie, pas seulement une méthode d’alimentation. La compréhension et le soutien que vous apporterez au couple que forment votre conjointe nourrice et votre bébé allaité est l’un des investissements les plus précieux que vous puissiez faire pour la santé et le bien-être futur de votre famille.
Ce que tout père devrait savoir au sujet de l’allaitement…
Lait spécifique à notre espèce. Tout comme la mère est capable de nourrir son bébé pendant neuf mois dans l’utérus, elle est capable de nourrir complètement son nouveau-né pendant au moins neuf mois après sa naissance. Chaque espèce de mammifère fabrique en effet un type unique de lait qui est spécialement adapté pour aider les petits de cette espèce à survivre et à développer leur potentiel au maximum. Le lait, comme le sang, a été perfectionné par la nature pour que chaque espèce puisse se développer dans son environnement particulier. Par exemple, les phoques et autres mammifères des eaux froides produisent un lait riche en matières grasses parce qu’ils ont besoin de maintenir un taux élevé de graisse corporelle pour survivre dans leur environnement froid. Le lait des vaches et des autres animaux des prairies est riche en minéraux et en protéines, ce qui favorise la croissance rapide des os et des muscles nécessaires à leur mobilité et à leur survie dans les plaines. Les veaux sont donc debout et courent déjà quelques heures à peine après leur naissance. Quant au lait humain, il contient des protéines particulières qui favorisent la croissance du cerveau, qui est l’organe de survie de notre espèce. Les scientifiques commencent tout juste à découvrir toutes les substances spéciales du lait humain, qui sont exactement adaptées au développement des petits de notre espèce.
La composition du lait nous donne un indice de l’organisation des tétées des petits d’une espèce donnée. Chez quelques espèces d’animaux, la mère s’éloigne de ses petits pendant des périodes prolongées, pour chasser une proie ou pour se nourrir d’une façon ou d’une autre. Le lait de ces espèces est doté d’un taux élevé de gras, de calories et de protéines de façon à ce que les petits puissent espacer leurs tétées de plusieurs heures; le lait «soutient» l’animal plus longtemps parce qu’il prend plus de temps à être digéré. Les espèces de ce type sont connues sous le nom d’espèces à contact intermittent. Le lait humain, quant à lui, renferme un taux relativement faible de gras et de protéines, ce qui est une indication que les bébés humains ont naturellement besoin de tétées fréquentes tout au long de la journée. Pour cette raison, on classe les humains (ainsi que les autres primates) parmi les espèces à contact continu. Donc, s’il vous semble que votre bébé désire téter tout le temps et qu’il vous semble que votre conjointe désire constamment tenir le bébé dans ses bras, dites-vous bien qu’ils agissent tout simplement selon le plan prévu par la nature pour assurer la survie de l’espèce.
Les avantages de l’allaitement
L’allaitement rassure le bébé. L’allaitement maternel adoucit la transition de la vie prénatale à la vie postnatale. Quand il vient tout juste de vivre la tension et le traumatisme de la naissance, le bébé mis au sein de sa mère ne sent pas la séparation d’avec l’utérus, l’endroit où il s’est développé. Il entend les battements de cœur familiers, la respiration familière, la voix familière; il sent la chaleur et le contact enveloppant du corps de sa mère; sa bouche trouve un endroit où téter, ce qui aide à faire disparaître la tension. Le visage de sa mère est tout près, à une distance de 20 à 30 centimètres (la distance à laquelle les nouveau-nés voient le mieux); ainsi, ses yeux se perdent dans ceux de sa mère en même temps qu’il boit son premier lait. Bébé est en sécurité, il se sent chez lui, tout va bien.
Le lait humain détruit les microbes. Le tout premier lait que votre bébé reçoit peu après sa naissance est appelé colostrum; il contient un taux élevé de substances antimicrobiennes appelées immunoglobulines. Votre nouveau-né est particulièrement vulnérable aux microbes et le lait humain contient justement le taux le plus élevé de substances antimicrobiennes à cette période de sa vie où il a le plus besoin de cette protection. Le colostrum peut être considéré comme le premier vaccin de votre bébé car il lui procure directement des anticorps qui combattent les microbes. Le lait humain a parfois été appelé «sang blanc» parce qu’il contient les mêmes cellules vivantes que le sang. Ces cellules blanches produisent à leur tour une protéine spéciale qui tapisse les intestins de votre bébé, empêchant ainsi les microbes nuisibles de passer dans son sang.
Le lait humain se transforme en même temps que le bébé. Les préparations commerciales pour nourrissons ont la même composition jour après jour; elles ne changent pas. Les besoins de votre bébé, au contraire, changent constamment et le lait humain se transforme pour combler ces besoins. Par exemple, c’est le gras qui fournit la plus grande partie des calories du lait humain et c’est aussi l’élément nutritif le plus soutenant. Quand votre bébé a faim, il tète de telle façon qu’il reçoit le lait de fin de tétée, un lait plus riche, plus élevé en calories. Si votre bébé a seulement soif ou qu’il ne désire qu’une petite collation, il tétera de manière à ne recevoir que le lait de début de tétée, un lait plus clair, plus aqueux. Le lait humain est généralement plus riche en gras le matin, quand la plupart des bébés sont plus affamés. Le contenu en gras du lait humain décroît quand le bébé vieillit et qu’il a besoin de moins de calories par kilo.
Le lait humain est facile à digérer. Le lait humain contient, dans les proportions exactes, toutes les substances nutritives dont les bébés ont besoin : matières grasses, sucres, protéines, minéraux, fer, vitamines et enzymes. C’est ce qui en fait l’aliment parfait pour le bébé. Le lait humain contient des enzymes qui aident le bébé à digérer presque complètement le gras. Les préparations commerciales pour nourrissons ou le lait de vache ne contiennent pas ces enzymes, donc leurs gras ne sont pas digérés aussi efficacement. Le gras en surplus passe dans les selles et est responsable de l’odeur désagréable des selles des bébés nourris au biberon. Le contenu plus faible en gras ainsi que la différence dans les sucres et les types de bactéries se retrouvant dans les selles du bébé allaité leur confèrent une odeur plus douce, ressemblant davantage à celle du lait. Les selles moins désagréables du bébé nourri au sein rendent le changement de couche moins repoussant pour le père. De plus, les bébés nourris à la préparation commerciale pour nourrisson font des selles plus dures, qui sont plus difficiles à expulser. Le lait humain ayant des propriétés laxatives naturelles, les selles du bébé allaité sont plus liquides et causent moins de problèmes au petit derrière de bébé.
Les protéines du lait humain sont également digérées plus facilement et plus rapidement que celles des préparations commerciales pour nourrissons. Parce que le gras et les protéines de ces préparations commerciales pour nourrissons ne sont pas totalement digérés, les bébés nourris au biberon se sentent pleins plus longtemps que les bébés nourris au sein. C’est pourquoi les bébés allaités se nourrissent plus fréquemment; il vous semblera sans doute que votre conjointe «donne le sein sans arrêt». Même les sucres sont particuliers dans le lait humain qui contient plus de lactose que les préparations commerciales pour nourrissons ou le lait de vache, c’est d’ailleurs pourquoi il goûte plus sucré.
Les bébés allaités sont en santé. Les bébés allaités ont moins d’infections respiratoires et intestinales que ceux qui sont nourris au biberon. Cela se traduit par moins de factures de médicament à payer. L’allaitement peut même diminuer les factures de dentiste pour votre enfant. La succion particulière requise pour l’allaitement au sein améliore même le développement des muscles de la bouche et des os du visage. Les orthodontistes notent que l’allaitement contribue à un meilleur alignement des os de la mâchoire de votre bébé. En fait, les efforts que votre bébé fait pour téter au sein se refléteront plus tard dans son visage.
L’allaitement améliore l’interaction entre la mère et le bébé. Des recherches récentes sur le développement des bébés ont montré qu’un des facteurs qui a le plus d’influence sur leur comportement et leurs habiletés de développement est la façon dont la mère répond aux besoins de son bébé. Les réactions de la mère sont déterminantes pour le développement du bébé. Quand le bébé lance un signal de faim ou de détresse et que la mère répond promptement à ce signal en lui offrant le sein, le bébé apprend deux choses. Il apprend d’abord qu’il est compétent : il lui suffit d’émettre un signal pour provoquer une réponse de la part de la personne qui s’occupe de lui; cela donne au bébé un sentiment de puissance. Le bébé apprend aussi à avoir confiance; sa détresse sera suivie par le réconfort, la faim sera suivie par la satisfaction.
Les mères allaitantes répondent à leur bébé de façon plus intuitive et avec moins de contraintes. Les signaux de faim ou de détresse émis par le bébé déclenchent une réponse biologique chez la mère (le réflexe d’éjection ou d’écoulement du lait); elle sent alors l’urgence de prendre son bébé et de l’allaiter. Cette réaction rapide récompense à la fois la mère et le bébé en les faisant se sentir bien. Si la mère nourrit son bébé au biberon, sa réponse aux signaux de faim ou de détresse est passablement différente. Elle doit en tout premier lieu faire dévier son attention de son bébé vers un objet, le biberon, et prendre le temps de le trouver et de le préparer. Des recherches ont montré que dans les six premiers mois de sa vie, la mémoire d’un bébé n’a une durée que de 6 à 10 secondes. Le temps qu’il faut pour produire une réponse non biologique, comme c’est le cas pour l’alimentation au biberon, est habituellement plus longue que la durée de la mémoire du bébé. Le bébé nourri au biberon ne reçoit donc pas le même renforcement immédiat à ses signaux que le bébé nourri au sein. Dans ma pratique, j’ai noté que les mères nourrices tendent à montrer un degré levé de sensibilité à l’égard de leur bébé et je crois que c’est le résultat des changements biologiques qui s’effectuent chez la mère en réponse aux signaux émis par son bébé.
Ces changements hormonaux expliquent que certaines mères nourrices me confient qu’elles se sentent «accrochées» à leur bébé. Comme il est satisfaisant pour les pères de créer le cadre de soutien qui favorise l’établissement d’un lien si fort! Certains pères m’ont confié que leur conjointe semble généralement plus sensible envers leur bébé et envers lui-même quand elles allaitent. En effet, la sensibilité intensifiée de la mère à l’égard de son bébé se reflète aussi dans sa relation avec son conjoint.
Le sevrage : un temps d’accomplissement
Les pères sont souvent exposées aux pressions sociales touchant le sevrage : «Est-ce que ta femme allaite encore votre enfant?» ou «Vous feriez mieux de briser cette habitude, sans quoi, quand il sera à l’école, votre fils reviendra à la maison le midi pour prendre son dîner au sein!»
Non seulement y a-t-il plus de femmes qui choisissent de nourrir au sein de nos jours, mais elles choisissent aussi d’allaiter plus longtemps. Le sevrage précoce est une pratique malheureuse de notre société occidentale. Nous sommes habitués à penser à l’allaitement en termes de mois et non d’années. Dans mon bureau, j’ai affiché un petit écriteau qui dit : «Le sevrage précoce n’est pas recommandé pour les bébés.» L’un des investissements les plus sages que vous pouvez faire pour sa santé et le bien-être de votre enfant est d’encourager l’allaitement pendant aussi longtemps que la mère et le bébé le voudront et le pourront. Dans ma pratique, quelques-uns des enfants les plus sains au point de vue physique et émotif sont ceux qui ont été allaités en terme d’années. Les enfants diffèrent les uns des autres, non seulement par le nombre de tétées dont ils ont besoin, mais aussi selon la durée de l’allaitement.
Le rôle du père au moment du sevrage. Les pères jouent un rôle important aussi bien pour que l’allaitement connaisse un bon départ que pour qu’il se termine de façon heureuse. Sevrer un enfant signifie l’amener à laisser le lait de sa mère et à y substituer d’autres aliments. Or, le père est l’autre source de nourriture émotive. Il y a un bon nombre de raisons pour lesquelles les bébés et les mères en arrivent au sevrage. Le rôle du père dépend donc des circonstances.
Pour quelques mères, le sevrage signifie qu’elles laisseront une large part des soins de leur enfant dans les mains d’autres personnes, particulièrement celles du père. Il se peut qu’elles sentent que le père doit prouver sa compétence à s’occuper d’un enfant avant d’accepter d’abandonner leur enfant à ses soins. En recevant en consultation des mères qui avaient ce problème, je me suis rendu compte que quelques-unes d’entre elles n’avaient pas réellement fourni à leur conjoint l’occasion de prouver leur compétence; dans d’autres cas par contre, les pères avaient si peu participé aux soins à donner au bébé que l’hésitation de la mère était quelque peu justifiée. Cette réticence à laisser le bébé aux soins d’une autre personne est en effet la conséquence d’un lien très fort entre la mère et son enfant. Les conseillers matrimoniaux peuvent ne pas être d’accord avec cette idée, mais j’ai trouvé que dans la plupart des familles, le lien mère-enfant est plus fort que le lien qui unit le mari et sa femme. C’est que le premier lien est d’ordre biologique, alors que le second est né du désir de deux personnes d’être ensemble.
Quand un père prouve sa compétence à s’occuper d’un enfant et fait connaître son désir de s’impliquer auprès de ses enfants, sa femme sent qu’elle peut les confier à ses soins. Elle sera alors capable de reconnaître que son enfant est prêt pour le sevrage. Le livre Becoming a Father a été écrit pour aider les pères à développer cette compétence.